Phantasm - Dowland: Lachrimae - Diapason
Le plus fameux luthiste et compositeur élisabéthain est en poste à la cour du Danemark quand il publie un recueil singulier. En sept pièces pour violes, Dowland décline sa propre pavane Lachrimae pour luth (1596), également connue sous forme de song, Flow my tears : « Coulez mes larmes, jaillissez de vos sources ! Exilé à jamais : laissez-moi me plaindre ; Là où l'oiseau noir de la nuit chante sa triste infamie, Laissez-moi vivre dans la solitude. » L'édition originale ajoute à la polyphonie des cinq violes une partie de luth (l'instrument de la mélancolie chez Shakespeare) en quasi-doublure, dont les interprètes font souvent l'economie.
On se demande pourquoi en suivant sa broderie scintillante sous les doigts d'Elizabeth Kenny, qui rehausse sans la troubler le contrepoint des violes. La prise de son réalisée par Philip Hobbs est, comme souvent, une merveille.
Les sept métamorphoses (sept « larmes ») sont tantôt livrées seules au disque (cf. infra), tantôt gravées avec les neuf gaillardes, les deux allemandes et les trois pièces lentes qui les suivent dans l'édition de 1604. C'était le choix de Jordi Savall dans un album fameux (1987, réédition Alia Vox), c'est celui de Laurence Dreyfus avec Phantasm. Le Diapason d'or s'impose à nouveau, pour une lecture aux antipodes : moins somptueuse et impressionnante, préférant aux graves encens doloristes une transparance virtuose, profitable à l'écoute continue : chaque pavane, par le relief de ses détails, apparaît comme une étude caractérisée.
Le projet de Phantasm satisfait les sens autant que l'intellect. Nous savons que la mélancolie, dont Dowland a fait son blason, représentait à l'époque tout autre chose que le gouffre dépressif auquel nous sommes tentés de l'associer. Les philosophes y voyaient un état propice à la création artistique, et l'accès à une médiation individuelle sur la chute de l'homme et le péché originel.
A ce « travail » de la mélancolie, répond la façon dont Dowland fait voyager son thème depuis les archaïsmes d'une musique sans tension jusqu'aux outils modernes de la peinture du sentiment. Il utilise différentes techniques issues de la musique vocale (fausses relations, chromatismes, intervalles) pour peindre l'immobilité de la musique des sphères (les trois premières pavanes), l'homme chassé du Paradis (la quatrième), le desarroi mélancolique (cinquième et sixième), le retour à un état de tranquillité (septième).
La parfait connivence des archets de Phantasm leur permet de rendre sensibles, sans rien appuyer, les ruptures de ton qui apparaissent dès la quatrième pavane : le projet d'un contrepoint de plus en plus torturé, qui retrouve sa stabilité après la catharsis, est magistralement traduit.
Si la suite du recueil affirme une volonté claire de « refaire les esprits », la pavane centrale Semper Dowland semper dolens place le compositeur au centre de cette méditation sur la repentance et la rédemption.