Édouard Ferlet, Violaine Cochard - Bach: Plucked / Unplucked - Citizen Jazz
Leipzig, retour-aller. Il est des musiciens qui ne cessent de montrer la jeunesse et la modernité de Bach, la malléabilité de ses mélodies. Edouard Ferlet est de ceux là. Après Think Bach, où il s’emparait de la musique du Cantor pour la relire seul avec sa propre articulation, voici qu’il revient l’honorer avec de nouvelles envies d’« Aparté ». Ici, il pénètre le Prélude du Clavier Tempéré avec une certaine langueur. Mais il n’est plus seul ; à ses côtés, Violaine Cochard donne la réplique dans un dialogue qui s’écrit en temps réel. C’est du Bach, bien sûr, du moins il en subsiste quelques photons qui en gardent toute la brillance, mais ce n’est pas le centre de la rencontre. Elle est plus sûrement basée sur la volonté de mêler les timbres et d’abandonner le confort de l’habitude. La claveciniste connaît bien le compositeur, son répertoire lui est intime et chaque détour de Bach Plucked/Unplucked souligne plus d’amitié que de déférence. De ces relations qui permettent de rudoyer gentiment et de parler librement.
C’est ce qu’on perçoit dans « A la suite de Jean » qui construit sur le Prélude de la suite pour violoncelle. L’existant se délite à mesure que les claviers s’animent, et pourtant ce qui se bâtit s’avère tout aussi solide, même lorsque le clavecin flâne dans des contrées abstraites qui lui semblaient jusqu’ici inconnues. Les cordes frappées du piano entraînent celles, pincées, de son glorieux ancêtre en lui priant de ne pas se retourner. Quand ils galopent, cela remplit l’espace jusqu’à l’étourdissement, comme ce dense « Je me souviens » qui ouvre l’album avec une pétulance rare où Cochard et Ferlet jouent au chat et à la souris dans une forêt de timbres. « Je me souviens plus », également issu de la Gigue de la Partita n°1 pour clavecin offre plus loin un tout autre contexte : plus distendu, jouant avec les sons étranges que Violaine Cochard déniche dans un instrument qui trouve dans la proximité d’Edouard Ferlet une toute autre dimension.
Enregistré très près des cordes, le clavecin révèle des timbres inconnus et singuliers vers lesquels le duo se dirige avec une curiosité turbulente. Ainsi, « Utopia », où le jeu de Cochard évoque tour à tour une harpe qui conterait quelques histoires galantes et un générateur de sons électroniques que ne renierait pas Jozef Dumoulin. Tout est naturel cependant. Charnel, même. Il n’y aucune manipulation particulière sur l’instrument, qui se découvre simplement une liberté inouïe, un aspect que Violaine Cochard avait déjà expérimenté, dans un registre très éloigné, avec le Tram des Balkans. En partant des partitions originales pour visiter leur périphérie, leur friche ou encore leurs coins sombres dissimulés dans l’imagination des deux improvisateurs, Bach Plucked/Unplucked s’inscrit dans la direction prise par Ferlet dans Think Bach, mais se rapproche également du travail récent de Guillaume de Chassy sur des œuvres plus proches de nous temporellement. Mais Bach est-il si éloigné ? Son plumage comme son ramage, méticuleusement plumé par le duo, tapissent ce très bel album qu’on peine à remplacer sur la platine, tant il nous conduit de surprises en surprises.