Ensemble Clément - Josquin Desprez: Septiesme livre de chansons - Le Figaro
La semaine dernière, nous évoquions les 500 ans de la mort du «poète musicien» de Condé-sur-l'Escaut, avec la parution du dernier volume de l'intégrale de ses messes par les Tallis Scholars. Place cette fois à un autre versant de son œuvre musicale: la chanson profane. Le contre-ténor Dominique Visse et son Ensemble Janequin se sont fait une spécialité de ce répertoire, dont les splendeurs polyphoniques, chez Josquin, n'ont rien à envier à la richesse d'invention des opus sacrés du compositeur. Cet album, dédié à son Septième livre, corpus de 24 chansons publiées plus de vingt ans après sa mort, en est la preuve irréfutable.
Polyphonies pour cinq à six voix, sans doute destinées à être accompagnées - comme c'est le plus souvent le cas ici - par quelques instruments (luth, épinette, orgue, qui peuvent aussi se substituer aux chanteurs), elles témoignent dans un caractère à la fois intime et généreux de la duplicité du génie du compositeur. Ce dernier, passé maître dans l'écriture du canon, est aussi l'un des premiers musiciens de la Renaissance française à s'emparer du texte avec un sens de l'expressivité éminemment personnel.
Plongée sensible et délicate dans l'ivresse de ces chants d'une rare sensualité, ce disque, porté par ce mélange d'expression, d'intelligibilité et de dynamique des lignes qui caractérise l'ensemble (écoutez comme chaque chanteur fait vivre sa ligne, dans un jeu de crescendos et decrescendos d'une grande finesse), nous offre un bouquet joyeusement contrasté. S'y croisent des chefs-d’œuvre déjà bien connus des amateurs de Josquin. Comme la célèbre chanson Mille Regretz (selon la légende la chanson favorite de l'Empereur Charles Quint), dont la postérité est ici évoquée par deux transcriptions instrumentales posthumes. Ou encore Douleur me bat, dont la mélancolie déchirante passe de voix en voix avec une poésie infinie. Dans un tout autre registre, le gaillard Allegez moy, doulce plaisante brunette, dessous la boudinette, aux paroles peu équivoques, rappelle avec délices que l'époque aimait aussi, sous des dehors parfois innocents, chanter les plaisirs rabelaisiens.
Nombreux étaient d'ailleurs les jeux d'interpénétration entre chants grivois ou courtois, comme entre le profane et le sacré. Et il n'était pas rare que la mélodie d'une chanson amoureuse se retrouve déclinée sous forme de messe ou de motet, et inversement. En témoignent ici trois pièces qui pour beaucoup seront autant de magnifiques redécouvertes: Nymphes des bois de Josquin, qui est en réalité une déploration sur la mort de son prédécesseur Jehan de Ockeghem. Mais aussi deux pièces de ses successeurs Gombert et Vinders, citant des mélodies chères à Josquin: Musae Jovis et O mors inevitabilis.