Fitzwilliam String Quartet - Schubert: Late String Quartets - Crescendo
Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 8
Cet album Schubert a été enregistré au début du mois de janvier 2020 par les Fitzwilliam dans le même lieu que les Quatuors D. 804 et 810 « La Jeune fille et la mort » (pour Divine Art), ainsi que les Quatuors 13 et 15 de Chostakovitch (pour Linn), à savoir l’église St Martin’s East Woodhay dans le Hampshire. C’était peu de temps avant la pandémie, au moment où étaient encore présents le deuxième violon, Marcus Barcham Stevens, parti depuis lors pour le Scottish Chamber Orchestra, et la violoncelliste Sally Pendlebury qui, suite à la crise sanitaire, a elle aussi quitté l’aventure des Fitzwilliam. C’est donc sans doute la dernière occasion d’entendre la formation dans sa présente composition. Le choix d’instruments d’époque a été effectué à nouveau, comme pour les Schubert cités plus avant, mais cette fois avec des précisions sur leur origine : Lucy Russell joue un violon Gagliano de 1789, Stevens un Piattellini de 1774, l’infatigable pilier Alan George un alto attribué à Guarneri des années 1740, et Pendlebury un violoncelle Rogeri de 1700.
Un choix assumé, qui n’est pas sans risques face à une partition comme le n° 15, ultime quatuor de Schubert, écrit dans les dix derniers jours de juin 1826, et dont le seul premier mouvement sera joué du vivant du compositeur. Sauf erreur, les Fitzwilliam, dont la carrière est longue, n’avaient jamais gravé cette partition auparavant. Disons-le d’emblée : une première audition laisse une certaine insatisfaction, tant elle se nourrit de contrastes qui peuvent être déstabilisants, de sons tranchants et d’un climat austère. Mais il faut aller au-delà et réécouter à l’envi pour approfondir et assimiler l’approche, quasi philosophique, et la démarche, qui consiste à donner de la densité au discours. Le monumental Allegro molto moderato, que l’on peut comparer par sa durée et son ampleur à un mouvement de symphonie, avec sa part d’ombre et de lumière si souvent mise en évidence, apparaît ainsi dans une crudité dont le développement dramatique impose un dialogue intense sans cesse remis sur l’ouvrage. Le tempo laisse de la place à la respiration, et le violoncelle, dont on sait la part prépondérante qu’il occupe, s’intégrera au chant affecté de l’Andante un poco moto, avec ses tensions tragiques. L’écoute réclame une grande attention en raison des aspérités instrumentales qui installent une dynamique singulière, que l’on peut qualifier de fantastique, voire de fantomatique. Pas de recherche de beauté gratuite dans ce son global ascétique, mais un frémissement permanent dans les trémolos du Scherzo, puis dans l’émotion du Trio, si bien rendue par le violoncelle. L’Allegro assai final est déroutant : la fièvre que le rythme de tarentelle provoque pour atteindre une activité effrénée met un point d’orgue à une lecture en fin de compte dérangeante, qui réclame plusieurs fréquentations pour en saisir toute la portée, basée sur la concentration et le chant, ce dernier étant éloigné de toute démonstration. Une version à part, nourrie d’introspection.
Le Quatuor n° 12 « Quartettsatz » ouvre le programme, avec l’Andante dont il ne subsiste que quelques mesures, complétées dans les années 1990 par le compositeur et chef d’orchestre Brian Newbould (°1936), qui a fait de même pour des symphonies de Schubert. Le morceau achevé par ce dernier est un Allegro assai écrit à la fin de 1820, donné en audition privée viennoise au début de l’année suivante. Il se suffit largement à lui-même, le complément Newbould étant superfétatoire. C’est un tournant dans l’évolution instrumentale du compositeur, la densité initiale que l’on y trouve ne doit rien aux grands prédécesseurs que sont Haydn, Mozart ou même Beethoven, le climat romantique s’annonce en filigrane. Un afflux d’animation à la fois angoissée et dramatique est manifeste, avec des nuances plus apaisées qui font contraste dans la tonalité générale, en ut majeur. Les Fitzwilliam en donnent une lecture nerveuse.
Cet album ne fera sans doute pas l’unanimité, et sera l’objet d’avis divergents et partagés quant au rendu du message schubertien et à l’austérité dominante du Quatuor n° 15,