Phantasm - J.S. Bach: The Well-Tempered Consort – II - Crescendo
Son : 9,5 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10
Même s’il affectionnait la viole, Bach ne composa rien pour un tel consort, si l’on excepte le sixième Concerto Brandebourgeois qui s’y apparente. D’où la tentation de s’accaparer aux cordes des monuments polyphoniques tel Die Kunst der Fuge, ainsi que l’illustrèrent les ensembles Fretwork (Harmonia Mundi, décembre 2001) ou plus récemment l’Accademia Strumentale Italiana (Challenge, septembre 2019). L’an dernier, l’ensemble Phantasm avait offert un magnifique album de transcriptions d’œuvres pour clavier de Bach : extraits de l’Offrande Musicale, quatre chorals, une Invention à trois voix BWV 795, le diptyque BWV 547 et onze pièces du Clavier bien Tempéré. Le nouveau disque pioche exclusivement à ce dernier ouvrage où le compositeur explore méthodiquement tous les degrés de l’échelle chromatique, qui échoient d’un binôme de Prélude et Fugue en chacun des deux Livres.
Phantasm a sélectionné sept pièces dans le premier Livre et dix-sept dans le second, affirmant une prédilection pour les fugues (dix-huit) certainement plus propices au déploiement contrapuntique que convoite une telle formation instrumentale. Quatre pièces ont été abaissées d’un demi-ton ; ce faisant quelques tonalités ne sont pas abordées : ut dièse majeur, mi bémol mineur, mi mineur, fa dièse majeur, sol majeur, sol dièse mineur, la mineur, si bémol mineur, si mineur. Le parcours s’équilibre entre majeur (treize pièces) et mineur (onze pièces). Nous n'avons décelé ni itinéraire patent ni réseau secret dans ce programme dont l'ordonnancement semble laissé à la raison des interprètes, alternant vivacité et méditation, et tout un paysage entre ces pôles. Cela dans un décor phonogénique : le précédent volume 1, capté à Berlin, profitait d’une exceptionnelle prise de son. Celle-ci, réalisée au Magdalen College d’Oxford, l’est tout autant.
Dans le livret, Laurence Dreyfus avance l’idée assez probable que « les originaux pour clavier ne sont finalement que des arrangements d’une musique encore plus élevée qui habitait l’esprit de Bach. » En tout cas cette parure pour violes, expertement concrétisée, rend justice au modèle. Surtout quand elle est interprétée avec tant de goût. Certes le phrasé n’est pas de ceux qui musclent les articulations, qui brusquent les élans où aiguisent les arêtes. Mais quel chatoiement, quelle souplesse, quelle délicatesse ! Ce subtil tramage ouvre une perspective révélatrice sur la pensée du Cantor, et sur ce monument de la musique occidentale. Loin d’un dogme aride ou spéculatif, c’est l’art du chant et parfois même de la danse (la sveltesse du Prélude BWV 874 !) qui rayonne de ces pages ainsi revisitées. Un puissant imaginaire s’en élève, comme un écho de l’univers des cantates, où le verbe se suggère au travers ces entrelacs de poésie. Parmi ces vingt-quatre suprêmes exemples, distinguons seulement le lyrisme qui s’empare du Prélude BWV 888 : il ne demanderait qu’à se trouver des mots.