Samuel Blaser, Daniel Humair & Heiri Känzig - 1291 - Citizen Jazz
1291 est une référence au Pacte Fédéral, acte de naissance de la Confédération Helvétique avec l’unification de trois communautés en une seule force durant le mois d’août. Il y a beaucoup d’imaginaire et de 2015 broderies historiques sur le sujet, pas mal de festivités aussi ; mais c’est la première fois qu’il en résulte un disque, qui plus est de jazz. Un disque suisse, naturellement, où l’on retrouve Samuel Blaser, qui a pourtant quitté ses montagnes pour New York il y a une paire d’années, avant de s’installer à Berlin. A l’écoute du bondissant « Ory’s Creole Trombone » d’Ellington, où la coulisse joueuse de Blaser croise le fer avec la vivacité des tambours de Daniel Humair, on peine à trouver le moindre élan patriotique. De la même façon, l’élégant « Bass Song », occasion rêvée d’entendre la contrebasse fluide et légère d’Heiri Känzig n’a manifestement pas grand rapport avec Guillaume Tell ou les ours de Berne. Même le « Cantique suisse » qui s’ouvre sur le roulis qui anime les peaux de la batterie n’a pas valeur d’hymne, quand bien même la mélodie entretenue par le trombone a sa part de lyrisme. Ce n’est pas le pays qu’on célèbre ici, mais la vivacité de ses musiciens.
La Suisse est polymorphe. Elle parle plusieurs langues et se nourrit de ses différences. Ici, la différence n’est pas entre francophones et germanophone, d’autant qu’il manquerait un italophone dans le trio. Il s’agit davantage d’alliance générationnelle : il y a 20 ans de différence entre chacun des membres. Et même si Blaser est né plus de 40 ans après le batteur, la jeunesse est partout. Même dans ses plus vieilles recettes, à l’instar des « Oignons » de Bechet qui se font frire gentiment au trombone pendant que la paire rythmique entretient un feu crépitant fait de soudaines accélérations. Le résultat est joyeux, festif, mais jamais inutilement guindé. La contrebasse de Känzig est suffisamment ample pour permettre tous les mouvements.
Si chacun se découvre dans ce disque, il y a cependant tout un socle mutuel qui favorise la cristallisation instantanée, à l’instar de la douceur un peu débraillée de « Belafonte ». On songe à l’immédiateté qui était déjà de mise dans Fourth Landcape avec d’autres légendes. L’appétence de Blaser pour les musiques anciennes est un liant très fort, comme on peut l’entendre sur le profond « Grégorien à St Guillaume de Neufchâtel ». Le passage commun du tromboniste et du bassiste dans le Vienna Art Orchestra est sensible, notamment dans la simplicité de ce qui se joue ici. Plus que jamais 1291 est l’acte de naissance de la Confédération helvétique du jazz !